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L’accès au savoir change de mains
La bascule s’est opérée sans résistance. Les salariés passent de moins en moins par les portails formation, les bases documentaires ou les FAQ internes. Ils sollicitent directement une interface conversationnelle qui parcourt le Web, agrège des fragments de contenus, mélange des sources internes et externes, puis renvoie une réponse compacte. Les écosystèmes construits par les L&D cessent d’être des portes d’entrée pour se muer en simples réservoirs où l'IA puise sans annoncer son origine. C'est une rupture majeure pour des directions formation qui avaient structuré l’accès au savoir autour d’architectures cohérentes et maîtrisées. Les signaux globaux confirment l’ampleur du phénomène : près de 15% du trafic de recherche mondial a disparu en un an, absorbé par les interfaces génératives. En France, la part de trafic imputable à ChatGPT progresse de 76% entre janvier et août 2025. À l’intérieur des entreprises, le reflux est palpable. Les portails internes enregistrent moins de visites (un signal qui doit alerter les stratèges de formation), les parcours consultés perdent de la traction et une partie des contenus métier est consommée de façon indirecte via des synthèses automatiques. Le collaborateur ne distingue plus ce qui provient de l’organisation. La formation perd la maîtrise du premier contact avec les besoins exprimés. L’accès au savoir n’est plus orchestré par l’entreprise mais par une interface qui décide seule du chemin à suivre.
Une nouvelle compétition : exister dans les réponses ou sortir du champ
Les systèmes conversationnels provoquent une rupture dans la visibilité des contenus. Ils ne valorisent ni la richesse d’un portail ni la profondeur d’un catalogue, mais la capacité d’un fragment à être immédiatement réutilisé. La citabilité supplante la position. Ce qui n’est pas repris disparaît. Les L&D évoluent désormais dans un environnement où un contenu peut être pertinent, détaillé, opérationnel, sans jamais atteindre l’utilisateur. La première réponse capte l’attention et fixe la trajectoire. Le reste devient invisible. Les fournisseurs externes vivent le même choc. Les organismes de formation, les éditeurs de technologies, les studios Digital Learning perdaient déjà du terrain dans les moteurs traditionnels ; ils perdent désormais la médiation elle-même. Les interfaces absorbent leurs contenus, en extraient des morceaux, les recomposent sans assurer un renvoi explicite vers les sources. L’optimisation pour ces modèles remplace le référencement classique. La logique change de nature. La question n’est plus de remonter dans un moteur, mais de franchir le filtre d’une synthèse automatisée. Les acteurs qui structurent leur production pour être identifiables dans ces synthèses conservent une place. Les autres s’effacent, parfois même alors que leur expertise est objectivement supérieure. Le marché de la formation glisse vers une compétition où la présence dépend de la manière dont l’algorithme interprète un contenu. Une bataille se joue sans que tous les acteurs en aient conscience.
Le marketing de la formation écrasé par la fadeur générative
Les modèles conversationnels imposent un bruit de fond uniforme qui avale les messages trop lisses. Ils génèrent à la chaîne des formulations standardisées qui se ressemblent entre elles et qui ressemblent à tout ce qui se faisait déjà. Le collaborateur s’en lasse. Le marché aussi. La formation reçoit cette onde de choc de plein fouet. Les newsletters internes perdent leur impact dès qu’elles adoptent le même ton neutre que les synthèses automatiques. Les campagnes commerciales des fournisseurs externes souffrent du même phénomène : les messages génériques sont absorbés, reformatés, vidés de leur singularité. Le marketing n’a plus de prise quand son contenu peut être reproduit à l’identique par n’importe quel modèle. La générativité ne renforce pas la créativité ; elle la dilue. Elle tire le discours vers une zone plate, sans aspérités, qui ne marque personne. Les organisations formation (interne ou externe à l'entreprise) se retrouvent face à une contrainte nouvelle : produire un récit, une parole, une analyse impossible à confondre avec une sortie de machine. Le marketing ne peut plus se contenter d’exister ; il doit trancher. Une offre trop large disparaît. Un message trop sage s’évapore. Une expertise mal racontée s’efface. Le contexte actuel favorise uniquement les acteurs capables d’exprimer une différence lisible par l’humain et par l’algorithme. Le reste est broyé par la générativité (on lira avec profit Dan Lyons sur le content marketing qui vire au "slop").
La différenciation humaine comme dernier ancrage stratégique
Le filtre algorithmique neutralise les contenus génériques et élimine les discours standardisés. La seule matière qui résiste est humaine. Les systèmes de synthèse peinent à interpréter l’expertise vécue, la parole située, l’analyse précise, le retour d’expérience incarné. Ces formats forcent la citation et réintroduisent l’organisation dans la réponse. Les L&D peuvent structurer leur capital pédagogique autour de ces contenus résistants. Les échanges avec les experts internes, les récits opérationnels, les situations métier racontées sans détour redonnent un relief qui échappe aux modèles. Les fournisseurs externes peuvent affirmer leur singularité en assumant un point de vue, une écriture, une tonalité forte. Le marché ne laisse plus de place aux acteurs interchangeables. Les systèmes de synthèse les écrasent, les uniformisent et les effacent. La différenciation redevient l’unique levier de visibilité. Les organisations formation qui misent sur cette singularité reprennent de la présence dans les réponses, reconnectent leurs contenus à leurs publics et restaurent leur impact. Les autres s’évanouissent dans un flux génératif qui ne retient aucune trace.
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