Naufrage du CPF : les Hiboux obtiendront-ils gain de cause ?
S'inspirant du mouvement des "Pigeons", les "Hiboux" demandent aux Pouvoirs publics d'agir rapidement pour remettre de l'ordre dans le CPF, répondre aux dizaines de milliers de demandes de formation en attente et sauver les emplois de la formation en péril… Point sur le dossier avec Arnaud Portanelli, l'un des initiateurs du mouvement.

Vous êtes l’un des initiateurs des “Hiboux”… En quoi consiste cette initiative ?

Arnaud Portanelli : Oui tout à fait, Guillaume le Dieu de Ville et moi-même sommes à l’origine du mouvement des Hiboux. Nous appartenons d’ailleurs au monde du e-learning puisque nous sommes les fondateurs de l’organisme de formation en langue "Lingueo". En janvier 2014, nous avons mis en ligne "CPFormation.com", une plate-forme d’information sur le Compte Personnel de Formation, sur laquelle nous avons rédigé des articles d’information sur la réforme puis mis en ligne un moteur de recherche des formations éligibles, puis un forum, etc. Ce site est très rapidement devenu une des plus importantes ressources d’information sur la réforme et un endroit d’échange sur lequel les internautes venaient s'ouvrir des problèmes qu'ils rencontraient pour se former ou pour dispenser des formations. C’est ainsi qu’est né le mouvement des Hiboux, le lundi 27 avril.

Combien de Hiboux avez-vous réussi à réunir ?

Arnaud Portanelli : Plus de 100 personnes par jour signent la pétition que l’on trouve sur le site change.org. Le mouvement a recueilli plus de 1 300 signatures depuis son lancement. Cette pétition est notamment très relayée sur Twitter et Facebook et nous pensons qu’elle ne fait que commencer à parler d’elle. Les signataires sont l’ensemble des acteurs de la formation, inquiets de la réforme : des personnes à la recherche d’un emploi qui souhaitent se former, des employés qui souhaitent augmenter leurs compétences, des organismes de formation qui ne forment plus, des responsables formation-RH qui sont perdus… Il rejoignent les Hiboux car ils sont directement touchés par ce blocage de la formation, avec l'espoir de se faire entendre et de faire avancer les choses. Nous souhaitons représenter tous les Hiboux et contribuer à débloquer cette situation au plus vite dans l'intérêt de tous, y compris dans celui du gouvernement, car le CPF est une bombe à retardement qui va lui exploser à la figure s’il persiste à persévérer dans cette impasse.

Voici quelques commentaires sélectionnés au hasard dans les commentaires postés il y a moins d’une heure. Ils parlent d’eux même (recueillis le 7 mai en début d'après-midi) : "Comme il est écrit dans la lettre, il faut absolument permettre aux salariés de faire des formations courtes et très spécifiques comme c'était le cas avec le DIF. C'est la mort de l'évolution de nos compétences dans notre structure !" (Eugénie Fraigneau) ; "Organisme de formation, je constate parmi mes confrères une baisse de 30 à 60 % de CA, des OPCA désorientés, des entreprises attentistes, des salariés perdus. Bref c'est un blocage quasi total de la formation en France. Réforme à faire évoluer en urgence." (Pascal Nicolas) ; "Je souhaite faire une formation en développement C# hors elle ne semble pas compatible avec mon code APE étant informaticien dans ma société (pas une société informatique certes mais vu les autres code APE ca ne semble pas gênant)" (Alban Gabet)… L’ensemble des commentaires de cette pétition sont très parlant et nous vous invitons à aller les lire sur la pétition.

Pensez-vous que dispositif du CPF puisse être sauvé ?

Arnaud Portanelli : De toute évidence, le CPF provoque tous les effets contraires de ceux qu'il prétendait produire ! Ses objectifs sont trop décalés des besoins des personnes qu'il prétend servir : en l'état, le CPF aggrave très sérieusement la situation des personnes qui ont un grand besoin de se former et des professionnels de la formation. En voulant réformer un secteur sans consulter tous les interlocuteurs, en signant un accord partiel (manquaient à l'appel la CGT et le CGPME) et en bâclant une loi mal fagotée sans décrets d'application à jour et à temps, les autorités ont complètement bloqué le système. Aux organismes de formation et aux salariés de jouer maintenant et de tenter de sauver la réforme en s'appropriant un système plein de défauts et réparer les dégâts causés par ceux qui ne sont pas directement concernés.

Quelles sont les mesures à prendre ?

Arnaud Portanelli : Nous appelons à adopter dix mesures d’urgence :

  1. Élargir les listes aux formations transverses (bureautique, ensemble des langues étrangères, CACES…) ;
  2. Simplifier et finaliser le site moncompteformation.gouv.fr et en particulier l’interconnexion entre titulaires et OPCA ;
  3. Abandonner le passage obligatoire des examens diplômant et des tests certifiant ;
  4. Abandonner la modularisation systématique des formations ;
  5. Définir clairement les règles de validation des dossiers pour une application uniforme par les OPCA ;
  6. Expliquer au Pôle Emploi son rôle et les règles de gestion des dossiers ;
  7. Raccourcir les délais de validation des dossiers de formation ;
  8. Mettre fin aux certifications qualité discriminatoires ;
  9. Consulter dès maintenant les différents acteurs du secteur notamment les organismes de formation pour améliorer et débloquer le système ;
  10. Diffuser les nouvelles mesures et le calendrier d’application de celles-ci auprès des différents acteurs.

Dans le domaine des langues, notamment, quelle est la baisse du chiffre d’affaires sur les premiers mois de l’année ?

Arnaud Portanelli : Une enquête téléphonique, qui a été menée par le cabinet Lingaid entre le 26 et le 30 mars parmi les organismes de formations, révèle que déjà entre 15 et 25% du chiffre d’affaires a disparu sur le premier trimestre. 50% des formateurs indépendants affirment que leur activité a baissé. Ces chiffres vont s’accentuer sur le second trimestre et nous prévoyons la mort de la moitié des organismes de formation dans l’année en cours. Les licenciements et fermetures ont déjà commencé et vous n’aurez pas de difficultés à retrouver leurs témoignages parmi les signataires de la pétition.

Quel est l’accueil fait aux Hiboux par les pouvoirs publics ?

Arnaud Portanelli : Pour le moment, le ministre ne semble pas avoir pris en considération la gravité de la situation mais peut-être qu’avec plus de signataires cela évoluera... Je vous invite tous à signer ici la pétition et à écrire à vos partenaires et à vos clients. Dans quelques semaines, il sera déjà trop tard.