Fin de l’obligation fiscale, c’est maintenant ?
Marc Dennery
co-fondateur et directeur associé
c-campus
Tout porte à le croire ! En tous les cas, les positions des décideurs politiques et paritaires et l’évolution des pratiques pédagogiques n’ont jamais créé un contexte aussi favorable… Mais la suppression du 0,9% formation ne sera pas sans conséquences… Positives pour les nouveaux formats pédagogiques, plus négatives pour les tenants du "Tout stage"…
Le fléau du chômage fait évoluer les positions…

Les organisations syndicales et une partie du patronat (CGPME), se sont toujours opposés à la fin de l’obligation fiscale. Mais le contexte a changé. Le chômage endémique conduit à revoir les positions. Le CPF, qui vient d’être créé à travers la loi sur la sécurisation de l’emploi, rebat les cartes du financement de la formation.

Bercy et le ministère de l’emploi souhaitent un transfert plus important de la formation des salariés vers les demandeurs d’emploi et les jeunes sans qualification. Le Medef semble prêt à un échange : fin du DIF et de l’obligation fiscale et en contrepartie transfert d’une partie du 0,9% vers le financement du nouveau compte personnel de formation. La CGPME ne semble pas crier au scandale cette fois-ci et les syndicats non plus.  Car le contexte est franchement mauvais. Et l’opinion semble favorable à ce transfert, comme en témoigne un récent sondage sur la question.

Alors, est-ce déjà fait ? Dans le domaine de la formation, tout est possible, mais les signaux sont tous au vert. Réponse à l’issue de la concertation tripartite (Etat, Régions, partenaires sociaux) sur le financement de la formation. C’est-à-dire d’ici l’été.

Les nouvelles pratiques pédagogiques rendent caduques l’obligation fiscale…

Du côté des entreprises, cela fait déjà longtemps qu’on se passerait bien de l’obligation fiscale. L’émergence de la formation digitale et des nouvelles modalités d’apprentissage (réseaux sociaux, apprentissages informels…) ont du mal en effet à s’accommoder du carcan de l’imputabilité de la formation. L’échange entre pairs, les recherches personnelles d’information sur internet, le binomage de compétences… n’entrent pas dans la logique de l’obligation fiscale qui ne mesure la formation qu’à l’aune du temps passé. Or, le temps ne veut rien dire en formation, c’est la motivation et la compétence à apprendre (c’est-à-dire la capacité "d’apprenance") qui fait la différence.

Heureusement, les entreprises savent contourner les difficultés. Elles créent des PIF (Protocole individuels de formation), imputent seulement le présentiel et passent le E-Learning sur leur budget propre. Tout ceci n’est pas satisfaisant et on sent bien que le modèle Social-Deloriste de la formation issu de la réforme de 1971 craque de toute part. La fin de l’obligation fiscale ne ferait qu’accélérer le mouvement.

Des effets très sensibles sur les pratiques de formation…

Et si demain, comme nous l’envisageons, l’obligation fiscale disparaissait, que se passerait-il ? Difficile aujourd’hui de mesurer tous les effets, tant le changement paraît profond. Pourquoi les entreprises continueraient-elles à organiser des stages de confort pour leurs salariés ? N’auraient-elles pas intérêt à réduire leurs budgets formations de façon drastique ? Continueraient-elles à saupoudrer leur budget en formant chaque année un maximum de personnes ?

Beaucoup de questions de ce type verraient le jour et les comportements des agents économiques évolueraient sans nul doute.

Plutôt que de faire de la formation-fiction, il peut être préférable d’en appeller à sa mémoire ou plutôt à l’Histoire… La formation a existé avant l’obligation fiscale. Et les pratiques étaient alors bien différentes. Les entreprises se focalisaient sur l’essentiel : l’intégration des nouveaux embauchés et le perfectionnement des hommes et femmes clés de l’entreprise. Le stage n’était pas le seul format pédagogique. Les heures d’OJT (On the Job Training) et de cours du soir dépassaient largement celles du stage.

Faisons le parallèle et il apparaît évident qu’à l’heure de la formation digitale, le stage a des soucis à se faire si l’obligation fiscale disparaît. Il pourrait être ainsi le principal dommage collatéral de la future réforme de la formation.

Marc Dennery