Le service formation doit reprendre le contrôle
Trop de contenus, trop vite, trop loin des priorités métiers. Le diagnostic de Fosway Group, dans son édition 2025 de Digital Learning Realities, ne devrait surprendre aucun responsable formation. Conséquence : pendant que les organisations s’enlisent dans des bibliothèques pleines de ressources inutilisées, les compétences critiques dérivent sous le regard inquiet des directions qui finiront bien un jour par s'interroger sur l'utilité des budgets formation.

Apetizer : le diagnostic est sévère : 65% des entreprises jugent leurs plateformes inadaptées aux besoins actuels ; la majorité reconnaît que l’IA accélère la production mais pas la pertinence des contenus et des stratégies de formation ; les équipes peinent à relier formation et performance. Le système ne manque ni de technologies ni de contenus. Il manque d’effet. 2025 doit marquer un repositionnement sans ambiguïté : réduire le bruit, rehausser la valeur, reprendre le contrôle.

Compétences : centre de gravité retrouvé

Les chiffres bougent et les attentes avec eux. Pour une large majorité d’organisations interrogées par Fosway, la priorité n’est plus de produire des modules mais de piloter les compétences dont dépend la trajectoire opérationnelle. La formation doit cesser d’être un flux continu de contenus pour se muer en système d’orchestration des écarts critiques. La cartographie n’est plus un exercice théorique mais un acte de gestion. Repérer les compétences rares, repérer les compétences qui déclinent, repérer celles qui conditionnent les gains de productivité immédiats. La production de ressources n’est utile qu’en soutien de ces arbitrages. En 2025, les  L&D les plus avancés ne fabriquent pas plus : il fabrique mieux en s'alignant sur les tensions du business. Ces organisations réduisent drastiquement les catalogues sans impact (nettoyage salutaire : c'est le moment d'archiver un passé encombrant pour repartir du bon pied). Elles concentrent l’effort sur les compétences dynamiques. Elles traitent le contenu comme un moyen, jamais comme un objectif. Cette discipline change le rapport de force : le L&D redevient utile parce qu’il mesure, priorise, décide.

IA : vitesse utile, vitesse dangereuse

L’IA a transformé la production pédagogique en un réflexe pavlovien : un prompt, un module. Fosway le pointe clairement : l’accélération est spectaculaire, mais l’impact stagne. Trop de contenus génériques, trop de doublons, trop de ressources qui n’ont aucune valeur métier. Les organisations découvrent qu’une capacité technique ne crée pas un bénéfice pédagogique. Pour obtenir un effet, il faut de l’intention, du cadrage, de l’édition. L’IA : sous réserver qu'elle clarifie, synthétise, accélère des tâches déjà structurées. À défaut, lorsqu’elle remplace l’analyse par la génération, elle noie le poisson. La règle doit s'appliquer : l’IA ne sert jamais à produire sans décision préalable ! L’IA, donc, comme outil de nettoyage, de structuration, d’aide à l’expert métier, et non pas comme un accélérateur, car la vitesse n'est pas une valeur en soi. Le digital learning n’a pas besoin de plus de contenus. Il a besoin de contenus qui déclenchent un changement de pratique. La différence est radicale.

Plateformes : rupture de confiance

La statistique de Fosway est brutale : 65% des répondants estiment que leurs plateformes ne répondent plus aux usages contemporains. Beaucoup d’écosystèmes restent figés dans une logique de consommation de contenus, alors que les entreprises réclament des outils capables de gérer compétences, productivité, données et intégrations rapides. Cette inadéquation freine tout le cycle L&D. Les équipes accumulent les contournements, multiplient les outils satellites, renoncent à exploiter les capacités avancées promises au moment de l’achat. Les plateformes sont devenus des entrepôts, loin d'être utiles au pilotage de la stratégie de formation et de compétences. Les directions formation les plus performantes savent éliminer les fonctionnalités décoratives pour réorganiser l’architecture autour du workflow apprenant ; elles exploitent la donnée au lieu de la stocker. La plateforme cesse d’être le dernier salon où l'on cause (le lieu où l’on va) : il devient un support silencieux du travail pour produire de l’effet. C’est exactement ce que les directions attendent.

Experts métiers : la matière première redevient stratégique

La montée des experts internes est l’un des signaux les plus nets du rapport Fosway. Dans certaines entreprises, plus de la moitié des projets digital learning sont désormais produits par les métiers. Non par enthousiasme technologique, mais parce que la compétence évolue trop vite pour être externalisée. Les experts deviennent la source la plus fiable, la plus contextualisée, la plus réactive. Mais cette évolution a un prix : sans cadre, elle crée du désordre. Trop de contenus locaux, trop d’approches disparates, trop de formats inégaux. Dans ce contexte, les L&D découvrent le rôle d'éditeur qui impose une cohérence. Ce sont elles qui tranchent, affinent, homologuent, protègent la qualité (quitte à déplaire). Les experts fournissent la matière, le L&D construit la valeur. Cette division du travail crée un modèle robuste : rapide, ancré dans les pratiques, aligné sur les priorités, mesurable.

Impact : l’unité de mesure finale

Dans un environnement saturé de contenus, la seule métrique légitime est l’effet réel sur le travail. Le rapport Fosway montre une fracture nette entre les organisations qui continuent à mesurer l’activité et celles qui mesurent l’impact. Les premières sont prisonnières de données interchangeables. Les secondes pilotent réellement. Elles décident d’arrêter une production lorsque l’effet n’est pas démontré. Elles synchronisent compétences, performance et développement. Elles utilisent la donnée comme un révélateur, pas comme une décoration ! Ce déplacement impose une maturité sans compromis : le L&D doit accepter de rendre des comptes sur ce qui change vraiment. Le reste ne compte plus. 2025 marque ce choc. Le digital learning n’a jamais été aussi riche techniquement. Il n’a jamais été aussi pauvre en impact. C’est cette contradiction que les équipes doivent résoudre. Elles disposent enfin des chiffres, du diagnostic et du mandat pour le faire.

Michel Diaz

Digital Learning Realities 2025