La robotisation impose le grand virage des compétences (dans l'industrie comme dans les bureaux)
Le recrutement chez Amazon : tari ? Il est questions de 600 000 recrutements évités grâce à l’automatisation d’ici 2033 (source NYT). Derrière cette annonce spectaculaire, une véritable tectonique des plaques : celle d’un monde du travail qui se recompose à grande vitesse. Pour les directions L&D et HR, le compte à rebours est lancé : il faut repenser les parcours, les compétences, et parfois même le sens du travail humain.

Le travail humain face au mur de la productivité

Amazon ne fait pas qu’économiser des postes : elle redéfinit la frontière entre ce que la machine peut faire mieux, plus vite et sans pause, et ce que l’humain doit apprendre à faire autrement. Dans les entrepôts, les robots prennent la place des préparateurs ; dans les bureaux, les assistants virtuels automatisent les tâches administratives, les saisies, les vérifications. Ce mouvement touche désormais toutes les entreprises industrielles, où les lignes de production se robotisent à marche forcée, mais aussi les services, où l’automatisation cognitive balaie les emplois de bureau les moins qualifiés. Partout, les algorithmes apprennent, les tâches se réorganisent, les métiers mutent. Le plus inquiétant, c’est la vitesse. Dix ans : c’est le temps qu’il a fallu à Amazon pour passer du bras mécanique à la supply chain entièrement orchestrée par IA. Dans beaucoup d’entreprises françaises, la transformation s’annonce aussi rapide, mais moins préparée. On continue de parler de “pénurie de talents”, quand c’est la nature même des talents disponibles qui est en train de changer.

Upskilling, reskilling : perspectives

Former mieux ne suffira plus ; il faut former autrement. L’upskilling, longtemps cantonné à la montée en compétences technique, devient un impératif stratégique : apprendre à collaborer avec des systèmes intelligents, interpréter les données, exercer un jugement humain là où la machine s’arrête. Quant au reskilling, il ne s’adresse plus seulement aux salariés en reconversion forcée : il devient un mécanisme d’adaptation continue. Une opératrice logistique peut demain devenir technicienne en maintenance robotique, un gestionnaire de paie se muer en data steward (spécialiste de la qualité, de la structuration et de la gouvernance des données au sein de l’entreprise), un formateur en ingénieur pédagogique IA. Mais cela suppose un pilotage radicalement différent : analyser en continu l’évolution des métiers, anticiper les besoins plutôt que d’y répondre, investir avant la crise. L’erreur serait d’attendre que l’automatisation crée des dégâts pour réparer ensuite par la formation. il va sans dire que les salariés, qui sont les premiers concernés, devront avoir leur mot à dire ! De fait, la question posée est celle de l'appropriation collective (entreprise, métiers, management, salariés) de cette transformation ; appropriation qui suppose une gouvernance spécifique que bien peu d'entreprises ont mise en place. 

L’entreprise apprenante à l’épreuve du réel

Beaucoup d’entreprises affichent la posture de “learning company”. Peu la vivent. L’onde d’automatisation en cours va faire le tri entre les discours et les pratiques. Une organisation qui apprend est une organisation qui anticipe : elle observe ses signaux faibles, identifie les emplois exposés, trace les passerelles internes avant que le marché du travail ne les efface. Cela implique une nouvelle alliance entre DRH, DSI et direction générale. Le sujet n’est plus de “proposer” de la formation, mais de la gouverner : la calibrer au bon moment, au bon coût, au bon niveau d’impact. Ce que montre Amazon, c’est qu’un plan d’automatisation est aussi une stratégie d’investissement sur la compétence. Si la France veut éviter que ses entrepôts, ses usines ou ses bureaux deviennent des zones de relégation professionnelle, c’est cette vision systémique qu’il faut adopter.

Les compétences d’après : hybrides, cognitives, relationnelles

Quand la machine exécute, l’humain doit penser, relier, créer du sens. C’est la ligne de fracture du futur marché du travail. La valeur se déplacera vers la résolution de problèmes, la coopération, l’éthique, la communication interdisciplinaire. Ces compétences, dites “transversales”, seront demain les plus rares et donc les plus chères. Pourtant, les plans de développement des compétences continuent de les traiter en périphérie, comme un “soft” à côté du “hard”. Le défi des directions formation est d’en faire un axe prioritaire : pas comme un supplément d’âme, mais comme le cœur de la productivité nouvelle. L’IA sera un accélérateur, mais elle ne remplacera ni la compréhension du contexte, ni la capacité à arbitrer, ni l’empathie. C’est sur cette ligne de crête que se jouera la compétitivité des entreprises européennes.

Learning & Development : levier de souveraineté

Les décideurs formation-RH n’ont jamais eu un rôle aussi stratégique. L’automatisation détruit, mais elle peut aussi libérer : libérer du temps, de la pénibilité, des routines. À condition que ce temps soit réinvesti dans la montée en puissance des compétences humaines. Le choix n’est plus entre licencier ou former : il est entre subir ou piloter. La souveraineté numérique et industrielle se joue désormais sur le terrain des compétences : celles que l’on développe, celles que l’on retient, celles que l’on imagine avant qu’elles ne manquent. Les entreprises qui comprendront cela tôt auront un avantage durable : elles transformeront la peur du remplacement par la promesse de l’évolution.