Vingt ans d’évolution… peu mieux faire
En deux décennies, le LMS a profondément changé. D’abord simple dépôt de modules SCORM, il s’est mué en plateforme de gestion des compétences, de la conformité et des talents. Il s’est ouvert à la collaboration : forums, communautés, partage de contenus, social learning, intégration aux flux d’entreprise. Puis est arrivée la vague des LXP, censées replacer l’apprenant au centre du dispositif. Malgré tout, la promesse reste inachevée (mais peut-elle seulement l'être jamais ?). Selon le Learning Syndicate, seulement 9 % des entreprises se disent pleinement satisfaites de leur LMS, tandis que près de 40 %, d’après Brandon Hall Group, sont déjà en recherche active d’une alternative. Les symptômes sont bien connus : intégrations ratées, ergonomie rigide, reporting défaillant, lenteur administrative, apprentissage réduit à la conformité. En clair : le LMS fonctionne, mais il inspire peu. Le paradoxe est profond. À mesure qu’il s’est enrichi, le LMS s’est éloigné de sa mission première : simplifier la vie de ceux qui apprennent. Conçu pour administrer, il a souvent oublié d’accompagner. Or, l’expérience est désormais la clé : l’apprenant attend un environnement fluide, personnalisé, continu, où la technologie se fait oublier. Le LMS s’est modernisé, mais il reste prisonnier d’un ADN gestionnaire, quand tout appelle à la personnalisation et à la mobilité.
Repositionnement en vue
Beaucoup prédisaient que l’intelligence artificielle signerait la fin du LMS. C’est tout l’inverse qui pourrait se produire. Car si les IA génératives bouleversent la création de contenus, la scénarisation et l’évaluation, elles ne remplacent pas ce que le LMS apporte de fondamental : la gouvernance. Certes, des millions d’utilisateurs exploitent désormais ChatGPT, Claude ou Gemini comme d’immenses moteurs de recherche interactifs, capables de produire textes, quiz ou scénarios pédagogiques à la volée. Mais ce nouvel accès au savoir ne signe pas la disparition des systèmes de formation structurés — pas plus que Google, en son temps, n’a supprimé le besoin de former. L’IA change la manière d’apprendre, pas la nécessité d’un cadre cohérent. Le LMS relie l’apprentissage à la performance, garantit la conformité et orchestre la donnée. Sans lui, l’IA apprend vite mais sans cap, sans cohérence, sans stratégie. La révolution actuelle ne fait donc pas disparaître le LMS : elle le pousse à se repositionner comme l’ossature de la formation numérique. Le LMS de l'avenir sera sans doute moins visible, mais plus central. Il fera circuler la donnée entre les IA créatrices de contenus, les outils RH, les plateformes collaboratives et les applications métier. Il orchestrera les parcours, mesurera les impacts et assurera la continuité entre apprentissage et performance.
Les nouveaux critères de choix : du management à l’intelligence
Si la carte à jouer du LMS est désormais l’intelligence intégrée, les critères de sélection changent radicalement.
- D’abord, l’intégration ouverte : fini les plateformes fermées sur elles-mêmes. Le LMS doit dialoguer avec les systèmes RH, les CRM, les outils de compétences et les IA génératives. Sans connecteurs solides, pas d’intelligence collective. Sur cette question, force est de constater que ces plateformes ont accompli d'énormes progrès depuis 10 ans.
- Ensuite, l’analytique augmentée : un LMS moderne ne se contente plus de produire des tableaux de bord, il anticipe. Il identifie les compétences émergentes, détecte les signaux faibles, recommande les parcours les plus pertinents.
- Troisième critère, l’expérience personnalisée : le LMS ne doit plus imposer une logique de catalogue, mais proposer des parcours adaptés à chaque collaborateur, nourris par la donnée et la performance réelle. Les LXP sont passés par là, dont l'influence a été bénéfique.
- Quatrième exigence, la gouvernance transparente : dans un monde où l’IA crée, évalue et recommande, le LMS reste le garant de la fiabilité et de la traçabilité des apprentissages. Sans lui, impossible d’assurer la conformité réglementaire et la responsabilité algorithmique.
- Enfin, le coût d’usage plutôt que le coût d’achat : le critère clé devient la capacité du système à générer des gains de temps, de fiabilité et d’impact. C'est peut-être sur ce point que le LMS est attendu au tournant (par les métiers et les dirigeants de l'entreprise)…
Ces critères dessinent une ligne de partage : d’un côté, les plateformes centrées sur l’administration ; de l’autre, celles qui font émerger une véritable intelligence de la formation, connectée, évolutive et orientée performance.
Pas de solution unique : penser en écosystème
Cela dit, aucune plateforme, même la plus avancée, ne saurait pleinement satisfaire tous les publics : apprenants, formateurs, concepteurs, administrateurs, responsables RH. Chacun poursuit des objectifs et des usages différents. La quête du « LMS parfait » — celui qui couvrirait tous les besoins, du microlearning à la gestion des talents — reste largement illusoire. L’avenir continue de passer par une approche d’écosystème technologique, où le LMS conserve une place centrale mais connectée, au cœur d’un ensemble de solutions complémentaires : outils d’IA générative, plateformes de contenu, portails collaboratifs, systèmes RH, applications métier. Ce modèle distribué reflète la réalité du learning moderne : plus agile, plus analytique, plus centré sur l’expérience utilisateur. Le rôle du LMS y demeure crucial, non parce qu’il prétend tout faire, mais parce qu’il sait évoluer avec les attentes, orchestrer les flux et garantir la cohérence d’ensemble. Le LMS n’est pas mort. Il s’apprête simplement à devenir ce qu’il aurait toujours dû être : un cerveau collectif, pas un classeur numérique.
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